Quand j'ai commencé à prendre l'autobus dans la région, j'ai découvert les « amis d'autobus », soit les gens qui prennent l'autobus ensemble tous les matins pour aller travailler et qui passent le trajet à jaser parce que tsé, on prend le même autobus, on doit avoir des points en commun (not). Raiontzukai, cet être sur-social, était d'ailleurs plongé avec joie dans l'univers des amis d'autobus et j'étais quand même contente de ne pas prendre l'autobus en même temps que lui pour avoir la maudite paix.

Nous sommes maintenant près de 20 ans plus tard, post-pandémie, et dans l'intervalle j'ai eu des enfants. Ça ne semble pas pertinent, mais le fait est que j'ai maintenant certaines connaissances dans le quartier pour cette raison. Ainsi, je me ramasse parfois à prendre l'autobus avec la maman d'un ami de Bout d'Chou ou avec le papa d'une fille de l'âge de Coco qu'on a rencontré au parc il y a maintenant un bon huit ans. Ce matin, ils étaient là tous les deux. Eux aussi se connaissent car ils ont été voisins à une époque. Faque on était trois, assis dans le groupe de quatre sièges face à face, à jaser dans l'autobus. Tout à coup je me suis dit que je faisais maintenant partie d'un groupe d'amis d'autobus. Sauf que non, parce qu'en fait, ces gens-là, je les connais et les fréquente en-dehors de l'autobus. Et maintenant je réalise que les amis d'autobus que je jugeais avant, eux aussi, ils se connaissaient peut-être d'abord et principalement d'ailleurs....

Coco, à son ami qui vient pour la première fois chez nous et regarde les 40 livres qui prennent toute la place sur le divan : On les a empruntés à la bibliothèque, inquiète-toi pas, on vit pas dans une maison de riche.

Si vous ne le savez pas, les profs sont en grève générale illimitée depuis maintenant près de trois semaines. C'est comme un retour en 2020, c'est ben ben ben ben l'fun. Au moins les enfants ont vieilli, et ils peuvent voir des amis, alors ça se passe assez bien, mais là, après trois semaines, ça commence à être plus difficile. Difficile de les faire sortir dehors, difficile de les faire jouer à des jeux intelligents ALORS on a décidé de se booker un tout-inclus à Punta Cana. Parce qu'on peut pis parce que c'est si rare qu'on n'est pas liés par le calendrier scolaire.

Dans l'espoir de limiter mes bagages je me suis acheté une paire de sandales Teva qui pourraient faire comme sandales propres et comme sandales de plage. En les essayant tantôt j'ai constaté que la semelle est comme texturée à l'intérieur et j'ai fait une joke de sandales Accu-massage à Raiontzukai. Histoire de bien rappeler mon âge...

Bout d'Chou : Vu qu'il y a une grève, on pourrait en profiter pour faire un petit voyage. On pourrait aller en Hawaii!

Cet enfant 1. est vraiment le mien et 2. ne saisit définitivement pas ce qui constitue un "petit": voyage.

Quartz (en tendant une débarbouillette à Coco qui est dans le bain) : Tiens, my beautiful baby.

Coco : Pffff, j'suis même pas beauti... ben, oui, j'suis beautiful.

Collègue : D'ailleurs on n'a pas une activité quelconque aujourd'hui?

Quartz : Ya le coffee break du comité social, mais j'avoue que j'envisage de me cacher. Je suis pas certaine d'avoir envie d'aller prendre un café avec un tas de gens que je connais pas.

[La conversation se poursuit, puis :]

Collègue : Bon, il va falloir que j'aille travailler. C'est à quelle heure le awkward coffee break?

Il a huit ans. C'est un écolier. Hier, il s'est arrêté subitement au milieu de la traverse pour piétons pour ramasser quelque chose par terre. Je ne sais plus trop ce que c'était, une roche qui reflétait la lumière ou une vis égarée. Je lui ai souvent dit qu'on ne s'arrête pas au mileu d'une intersection, mais devant un tel trésor, la sécurité passait au deuxième plan. Il devait s'en emparer sur-le-champ pour le ranger précieusement avec ses autres possessions du genre dans sa jolie boîte dans le tiroir de son bureau.

Je passe par la même traverse à piétons au moins deux fois tous les jours en semaine : quand je me rends à l'école, seule, en fin d'après-midi, et quand j'en reviens avec lui. Raiontzukai fait le même aller-retour tous les matins. Souvent, ils sont plusieurs automobilistes à se faufiler devant nous quand nous voulons traverser. J'ai vu des automobilistes klaxonner des enfants qui traversaient. J'en ai vu d'autres freiner brusquement à la dernière minute, crissement de pneus à l'appui, parce qu'ils n'avaient pas vu la traverse. Plus d'une fois, j'ai poussé les enfants pour les sortir de la trajectoire d'une voiture résolue à ne pas ralentir.

Ce soir, alors que je me rendais à l'école, un conducteur s'est contenté de ralentir pour me laisser passer. Pour gagner quelques secondes, il a choisi de continuer d'avancer vers moi, à vitesse réduite, pour pouvoir reprendre son chemin sans s'être arrêté quand j'aurais fini de traverser. Et je me suis demandée : que ce serait-il passé si mon écolier avait été là? s'il y avait eu un caillou à ramasser au milieu de l'intersection? Est-ce que ce conducteur-là aurait eu le temps de s'immobiliser?

Est-ce vraiment si compliqué, de s'arrêter quand on est en voiture? Est-ce vraiment trop demander? Je conduis moi aussi. Moi aussi des fois je suis pressée, je suis occupée, moi aussi des fois je trouve que les piétons en mettent, du temps à traverser. Mais les enfants sont petits, inconscients, imprévisibles. Moi, je ne me le pardonnerais jamais si j'étais responsable d'un accident. Est-ce qu'on peut, collectivement, mettre un terme à cette maudite culture de l'automobile qui l'emporte sur tout?