En 2000, je n'allais pas bien.
Vous vous doutez sûrement de ce que j'ai fait alors (ou en tk, vous devriez) : j'ai écrit. C'était avant que les blogs deviennent vraiment a thing, alors j'ai commencé mon journal sur Open Diary (which I am shocked to discover still exists). C'était une belle petite communauté , avant les hashtags et les tags, permettait aux utilisateurs de lire les journaux des autres, de laisser des commentaires et d'établir des liens. J'avais ma petite liste de journaux favoris que je suivais religieusement, j'avais mes personnes préférées avec qui je discutais.
C'est comme ça que j'ai rencontré Kate.
C'était une Américaine âgée d'un an de moins que moi. Elle n'allait pas très bien non plus, c'était le premier élément que nous avions en commun, mais ce qui l'avait surtout fait accrocher, c'était que le titre de mon journal était en français. Elle avait appris un peu de français et rêvait de le parler couramment. Elle était intense. Ses commentaires (et les entrées de son journal) étaient toujours très longs et détaillés. Mais on s'entendait bien. On s'était envoyé des courriels. On s'était parlé un peu sur MSN (ou - gasp - c'était peut-être même AOL). Puis nous avons quitté Open Diary et nous avons perdu contact. Quelques années plus tard nous avons échangé d'autres courriels, et c'est là qu'elle m'a annoncé qu'elle avait reçu un diagnotic du syndrôme d'Asperger. J'ai compris pourquoi ses commentaires sur mon journal étaient toujours si longs et passionnés. Elle a a jouté qu'elle avait développé de grandes chemical sensitivities. Elle avait dû abandonner ses études et retourner chez ses parents. Elle ne savait pas si elle serait un jour apte à travailler. Parce qu'elle était tout de même géniale, elle a commencé à faire des conférences et à rédiger des articles sur sa réalité. Elle avait somme toute l'air de bien se débrouiller.
Nous avons de nouveau perdu contact, jusqu'à ce qu'on se retrouve sur Facebook. On se parlait ponctuellement, mais nos réalités étaient devenues si différentes que nous n'avions plus grand chose de quoi discuter. Elle écrivait genre cinq énormes posts par jour sur son profil. Je ne les lisais pas toujours. Parfois je les lisais en diagonale. Je commentais rarement, sauf lorsqu'elle parlait du Canada ou de français. Kate habitait seule, mais avait besoin d'aide pour accomplir beaucoup de choses. Elle était hautement fonctionnelle, si bien qu'elle n'avait pas accès à de l'aide à domicile. Il y avait des jours plus difficiles, mais dans l'ensemble elle semblait bien s'arranger : elle se promenait, allait à la bibliothèque, discutait avec des gens. Puis il y a eu la COVID-19.
C'est à la suite d'un de mes commentaires, en janvier, que nous avons recommencé à nous parler plus régulièrement. Après presque un an de pandémie, donc d'isolement, Kate rushait. Elle avait toujours eu besoin de tant de contact humain. Elle taggait des tas de personnes chaque matin sur son profil Facebook pour savoir si quelqu'un était disponible pour jaser. On a donc commencé à s'envoyer des courriel pour qu'elle pratique son français. Mais elle n'y arrivait pas vraiment. Ses journées la laissaient trop épuisée pour qu'elle ait la force de ressortir son français rouillé.
En janvier, Kate a commencé à avoir des problèmes de santé. Ses amis Facebook lui disaient d'aller à l'hôpital. Mais aller à l'hôpital, quand on a des hypersensibilités environnementales et qu'on est Asperger, c'est pas nécessairement si simple. Kate avait peur. Et elle avait une tête de cochon, faut se le dire. Au bout de quelques jours, elle a fini par se rendre à l'hôpital. L'expérience n'a pas été super agréable, évidemment. Mais elle est allée. On lui a diagnostiqué une pneumonie, prescrit des antibiotiques, et elle est retournée chez elle.
Elle a continué à voir des médecins. Je n'ai pas trop suivi ce qui s'est passé ensuite. Elle passait des tests. Son médecin pensait qu'elle faisait peut-être de l'asthme et l'a référée à un spécialiste. Kate chialait contre tout le monde qui ne faisait pas exactement ce qu'elle voulait qu'ils fassent. Elle refusait l'aide qui était offerte, mais répétait qu'elle avait besoin d'aide. Je trouvais qu'elle ne s'aidait pas, mais je savais aussi que je ne pouvais pas comprendre les obstacles auxquels elle faisait face. Alors je n'ai rien dit. J'ai suivi la situation de loin. Je l'ai encouragée quand elle était à bout. Mais je n'ai jamais tenté de comprendre ou de lui proposer des solutions.
Vendredi dernier, Kate a écrit qu'elle avait du mal à respirer et que sa fréquence cardiaque était rapide. J'ai regardé les commentaires. Tout le monde lui disait d'aller à l'hôpital. Alors je n'ai pas rajouté de commentaire. Tout était dit. Mais Kate avait peur, encore. Et comme les choses ne s'étaient pas très bien passé en janvier, elle était encore plus réticente à y retourner. Elle respirait mal encore samedi, et dimanche. Elle était essouflée après avoir parlé au téléphone. Elle avait du mal à dormir parce qu'elle manquait d'air.
Lundi matin, elle a écrit qu'elle irait à l'urgence pendant la journée. Ce n'était pas la première fois qu'elle le disait. Elle finissait toujours par ne pas le faire.
Soudainement, vendredi, ou samedi, je me suis rendu compte que je n'avais plus vu ses cinq posts quotidiens passer dans mon fil Facebook. Depuis quand, donc?
Hier matin, je suis donc allée voir son profil.
Kate s'est finalement rendue à l'urgence lundi soir. Les médecins ont commencé à l'examiner. Puis elle a fait un arrêt cardiaque et elle est décédée. On ne sait pas encore pourquoi. Une autopsie a été recommandée, mais je ne sais pas si elle aura lieu.
Ça fera une semaine aujourd'hui. Elle venait d'avoir 37 ans. C'était une adulte. C'était une femme intelligente. C'était un être humain hautement fonctionnel. Trop fonctionnel pour avoir de l'aide.
Alors, fort probablement, elle a trop attendu. Elle a trop attendu et ça l'a tuée.
C'est la faute de la pandémie. C'est la faute de ses problèmes mentaux. C'est la faute du système. Mais ça ne change rien de blâmer quoi que ce soit, parce qu'at the end of the day, elle n'est plus là et ça n'a pas juste pas de sens.
Rest in peace, Kate. I wrote this in French because you loved the language so much, I feel like you would have loved to see so much written in that language about you. I wish you would have gotten the help you needed. I'm sorry the system failed you so hard. You deserved so much better.
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