J'ai pas le temps. Voilà, c'est dit. C'est pas que je veux pas vous voir ou vous parler, mais calvaire, j'ai juste pas le temps.
J'ai pas le temps pour du drame. Mon temps libre est précieux et, surtout, très volatil. Je sais jamais si et quand il va se présenter. Et quand il arrive, il y a tout un processus d'établissement des priorités qui s'enclenche pour me permettre de déterminer si je vais le mettre à profit pour courir à l'épicerie ou à la pharmacie, pour aller acheter une paire de mitaines au plus jeune, pour faire un peu de ménage, pour commencer le souper que j'aurai pas le temps de faire autrement, ou si je vais, ô folie, pouvoir me permettre de m'occuper de moi en allant virer au magasin m'acheter des pantalons (parce que les miens sont usés jusqu'à la corde mais je n'ai pas encore eu le temps de les remplacer) ou en m'accordant une séance de course, ce sport que j'affectionnais tant, mais qui est négligé par la force des choses ces temps-ci. Parce que si je ne suis pas tout au bas de ma liste de priorité, c'est plutôt le bien-être de mon estomac que je favorise, avant celui de mes muscles et de mon cardio. C'est plate, je sais, je le sais même très bien, mais j'ai juste pas le temps de tout faire, et je dois faire des choix.
J'ai pas le temps de vous écouter parler en vous tapant dans le dos. Parce que c'est une autre tâche qui s'ajoute à toutes celles qui m'incombent, toutes ces autres tâches que j'accomplis continuellement plus pour les autres que pour moi, mais, au moins, par choix. S'il s'agissait d'une conversation, ça pourrait être une activité personnelle que j'apprécierais, mais quand je dois consacrer mes quelques petites minutes de libres à écouter vos récriminations stériles, que vous répétez pour la cinquième fois, juste pour vous accorder le loisir de vous en décharger (encore?!), sans jamais avoir à mon tour l'occasion de vous raconter mes dernières péripéties, parce qu'elles ne vous intéressent pas vraiment et que ma pause se termine chaque fois avant que vous, vous en ayez fini - ça ne l'est pas. Ça vient plutôt gâcher ces fragiles minutes qui s'en vont ainsi dans le néant.
Et si le tout ne se déroule pas à un moment où j'ai, de façon inattendue, un peu de temps, alors ça en devient carrément impossible, car répondre au téléphone, même aux simples télémarketers auxquels je peux dire au revoir en quelques secondes, relève du prodige. Parce qu'entre les enfants qui entrent en mode "panique" dès qu'ils voient que j'accorde mon attention à cet étrange objet qu'est le téléphone ("Maman! Regarde moi! Maman!" "Maman! Téléphone! Allo! Bye! Voir, voir! Mamaaaaan, voir!") et mon pauvre chum qui fait tout ce qu'il peut pour prendre le relais ("Coco, Maman est au téléphone, attends qu'elle ait raccroché. Bout d'Chou, viens-tu me voir? On va jouer avec ton téléphone jouet."), je n'ai certainement ni l'audition, ni l'attention nécessaires pour vous écouter.
J'ai pas le temps, je n'ai plus jamais le temps. La simple idée de prendre rendez-vous, chez la coiffeuse, chez le médecin, chez le garagiste, peu importe, me décourage, parce qu'elle implique de créer du temps là où il n'y en a pas. D'en faire rentrer davantage dans le même espace, de courir un peu plus, toujours un peu plus. Je commande un max de trucs en ligne, des trucs de base comme des Tylénols ou du papier de toilette, quitte à payer plus cher, pour m'éviter de devoir consacrer du temps que je n'ai pas à aller les chercher en magasin.
J'ai pas le temps, et vous ne le comprenez pas. Et c'est correct, c'est normal. Il faut vraiment être dans mes souliers en ce moment précis pour le comprendre. Pour comprendre ce que c'est, et aussi que ça durera pas éternellement. Mais là, ma vie, c'est courir de tous les cotés à la fois pour éteindre des feux et assurer des besoins de base, le tout avec deux garçons pendus (littéralement) à moi, et la conséquence de ça, c'est que vous pouvez certainement essayer de me parler, mais que vous devez garder en tête que ça se peut que je vous interrompe pour moucher un nez, essuyer des fesses, calmer une crise, servir des verres de lait, ou entamer une discussion sérieuse sur les pelles mécaniques - et que vous n'aurez peut-être jamais l'occasion de finir votre histoire.
Et j'en suis désolée. Mais pour l'instant, et pour quelques années encore, j'ai pas le temps, j'ai juste pas le temps.
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