Thursday, August 19, 2021

Plaidoyer en faveur de la vaccination


C'était en mai. Après un hiver long et difficile, les cas de COVID-19 étaient de moins en moins nombreux, les hospitalisations diminuaient, et on nous donnait enfin le droit à l'espoir avec un plan de déconfinement qui semblait presque trop beau pour être vrai. Rassemblements privés, spectacles, festivals, tous seraient de retour pour la belle saison. On pourrait même se voir sans distanciation entre personnes vaccinées à deux doses. De la véritable science-fiction. Quelques semaines plus tard, en juin, on nous faisait miroiter la promesse d'une année scolaire normale. Finis, les masques et les bulles-classes!

Tout était bien évidemment conditionnel à l'atteinte d'une couverture vaccinale "suffisante". Pour la fin du mois d'août, on parlait d'une couverture de 75% au sein de la population de 12 ans et plus. En mai-juin, la vaccination était en plein essort, on voyait des selfies de vaccination partout. Le 75% semblait à portée de la main.

Dans la vie, les choses très improbables m'arrivent exclusivement à moi. J'ai accouché deux fois sans épidurale parce que, clairement, c'est sur moi que tomberaient les cas extrêmement rares de complications! Bref, pour cette raison, je n'étais pas mécontente de ne pas figurer parmi les premiers groupes à se faire vacciner, d'avoir le luxe de voir d'abord comment ça se passait pour les autres. Quand mon tour est arrivé, la vaccination était déjà bien entamée dans le monde, il n'y avait pas d'effets secondaires imprévus et on commençait déjà à observer l'effet positif de la vaccination dans certains pays. J'étais rassurée, et c'est avec bonheur que je suis allée me faire vacciner moi aussi. 

Puis le temps a passé. La vaccination a ralenti. Les taux ont stagné. Au même moment, le variant Delta est apparu. De 75%, l'objectif est passé à 90%. Le compte des nouveaux cas quotidiens s'est remis à grimper. Et soudain, nos rêves de normalité ont repris leur auréole d'utopie.

Sans grande surprise, le ministre de l'Éducation a annoncé la semaine dernière que la rentrée scolaire serait assortie de davantage de restrictions que prévu. Il y aura des masques, il y aura le passeport vaccinal. Ça m'a laissé un goût amer. Nous avions le pouvoir d'offrir aux enfants offrir une rentrée quasi-normale, à la hauteur des sacrifices et de la résilience que nous leur demandons depuis un an et demi, mais nous avons choisi de ne pas le faire.

Au-delà de ce sentiment d'échec, si l'imposition de restrictions me déçoit, je l'appuie : ce sont plutôt les assouplissements qui me rendent nerveuse. Savoir que mes enfants se colleront sur différents groupes d'amis dans la classe, dans la cour et au service de garde, ça ne m'amuse pas beaucoup. La quatrième vague est arrivée. La quatrième vague, ce sera celle des non-vaccinés.  Et les non-vaccinés, ce sont nos enfants de moins 12 ans.

C'est vrai, les enfants sont moins durement frappés par la COVID. Mais ils le sont quand même. Aux États-Unis, le nombre d'enfants hospitalisés est à la hausse. Et il n'y a pas que la COVID-19 elle-même : il y a le syndrôme inflammatoire qu'elle peut entraîner des semaines plus tard, il y a la COVID longue. Personnellement, avec ma crainte de tomber du mauvais côté des statistiques, ce sont ces risques-là qui me font peur.

Depuis toujours, on se fait vacciner pour soi, bien sûr, mais aussi pour les autres. On se fait vacciner pour protéger ceux qui ne peuvent pas le faire. Selon les vaccins, il peut s'agir des personnes immunosupprimées, des femmes enceintes, des personnes atteintes de certaines maladies. Ici, il s'agit surtout de nos enfants de moins de 12 ans. Aujourd'hui, c'est pour eux qu'il faut se faire vacciner.

C'est correct d'avoir des craintes face au vaccin, comme moi-même j'en ai eues. C'est correct de prendre le temps de s'informer adéquatement. Mais il est temps d'agir, collectivement, pour nos enfants. Parce qu'on les aime et que c'est vrai, qu'on est prêts à tout pour eux. Parce que leur santé, physique comme mentale, dépend de nous et qu'ils méritent mieux que des sourires cachés par des masques. 

Faisons-nous vacciner. Pas pour soi. Pas pour le gouvernement. Pas pour les blogueuses exaspérées sur Internet. Faisons-nous vacciner pour nos enfants.

L'individualisme a fait son temps.

Monday, August 16, 2021

C'est drôle parce qu'on me l'a raconté plus d'une fois, mais les détails m'échappent toujours. Si bien que ce n'est peut-être même pas exact, mais dans ma tête, ma tante avait présenté son nouveau chum à ma mère quand ma mère était à l'hôpital après avoir accouché de moi. Ça m'a toujours un peu fascinée : ainsi, nous étions entrés dans la famille, lui et moi, en même temps. 

C'est pour ça que, dans mes souvenirs de jeunesse, il est là, partout. Dans les longues parties de cartes que jouaient les adultes pendant que moi je ramassais les bouchons de bière dans mon seau, les discussions qui se prolongeaient dans la nuit et faisaient que, seule dans ma chambre, je ne m'endormais que très tard. Les samedis après-midi, et même quelques nuits, passés dans l'appartement de Verdun, Super Mario World, le bacon le matin, le vieux chat tremblotant. Les autres samedis après-midi chez nous, la fois où on m'a appris à jouer au Monopoly, et celle où nous on lui a appris à jouer au crible.

Il y a eu les étés et les chalets que ma tante et lui louaient, chaque année, avant d'acheter le leur. Les seules fois où j'ai pêché, la fois où j'ai passé à ça de me foutre un vers dans la bouche, et mon oncle qui rit, qui rit. Les beignes roulés dans le sucre en poudre qui se mangent "comme des chips", les feux de camp et mes premières étoiles filantes.

Aux funérailles, dans les photos que ma tante faisait défiler en boucle à l'écran, il y en avait une de moi avec lui à un de ces chalets. J'ai 14 ou 15 ans sur la photo, mon toupet et mes cheveux à l'époque où ils étaient droits et non frisés. Je porte mes jeans taille basse et mon chandail bedaine avec le gros coeur bleu dessus, et je me souviens que je portais ces vêtements-là le jour de notre arrivée au chalet, justement. Je me souviens d'être dans l'auto, d'un arrêt au dépanneur en chemin, et de ces vêtements-là. Fouillez-moi pourquoi. 

Je me souviens qu'il a fait partie des rares personnes qui ont été là quand mon père était malade. Une des rares qui essayaient de donner, plutôt que de prendre ou de s'éloigner dans son malaise. Ma tante et lui venaient visiter, comme avant, comme si les choses n'avaient pas tant changé. La seule différence était qu'ils payaient systématiquement la pizza. Je me souviens que ça faisait suer mon père. Ça le faisait suer qu'ils arrivent chez lui et flashent leur argent. Mais moi je comprenais. Je comprenais parce que je faisais la même chose : je ne pouvais rien faire, rien changer, mais moi j'avais une job et j'avais les moyens de payer des trucs pour mes parents par-ci par-là. Moi, pendant des semaines, j'ai payé le déjeuner au resto hebdomadaire avec la famille de mon père. J'étais impuissante, mais j'avais de l'argent.

Et ça ne s'est pas arrêté avec la maladie de mon père. Parce qu'ensuite, il y a eu son décès. Et encore là, il y a eu très peu de gens qui se sont pas juste garochés sur ses trucs, sur son argent, avant de retourner chez eux comme si de rien n'était. Mais lui et ma tante, ils ont été là. Je n'oublierai jamais la fois où ils nous ont invités à venir passer quelques jours à leur chalet, justement. Ma mère est terrifiée à l'idée de conduire à Montréal, alors comme si de rien n'était, mon oncle est parti de Wentworth-Nord pour aller à chercher à St-Jean et la ramener à Wentworth-Nord, et il a refait le même trajet pour la ramener chez elle ensuite. Je ne crois pas que ma mère a réalisé à quel point c'était généreux de sa part. Mais moi je l'ai réalisé, et ça m'a fait du bien, ça m'a soulagée, de savoir que je n'étais pas seule à soutenir ma mère là-dedans.

Ensuite il y a eu quelques années de turbulence. Ma tante et lui ont divorcé. Il est resté là un peu, dans l'ombre de la famille, pendant un temps, puis il a disparu. C'était bizarre, que subitement, comme ça, après genre 28 ans, il ne fasse plus partie de la famille. Pour moi, il était mon oncle au même titre que la soeur de ma mère était ma tante. Je n'avais jamais considéré que ce lien-là était résiliable. On a tous eu de la peine, un peu, égoïstement, à ce moment-là. Jusqu'à ce que, coup de théâtre, il trouve sa place dans la vie de mon autre tante, celle avec qui lui et sa première femme avaient coupé les ponts des années - une bonne quinzaine - auparavant.

À ce moment-là moi j'ai eu des enfants et j'ai été collée en Outaouais pendant quelques années, pendant que mon oncle et ma tante, eux, rattrappaient le temps perdu et allaient se promener aux quatre coins de la province. Les visites se sont faites rares. La dernière remontait à 2018.

Je me souviens qu'aux funérailles de mon père, il venait d'apprendre que mon père n'avait même pas dix ans de plus que lui. Que ça lui a donné un choc de voir quelqu'un mourir si jeune. C'est très ironique de repenser à ça maintenant, parce qu'à ce moment-là, il ne lui restait déjà plus que onze ans à vivre. C'est comme n'importe quoi. Il est tombé malade lui aussi. Quand il est rentré à l'hôpital, le médecin lui a dit qu'il allait le remettre sur pied. Quelques semaines plus tard, plutôt, il est décédé. Il avait 56 ans. Il venait de s'acheter une nouvelle maison. Il n'avait même pas encore pris sa retraite.

Ce genre d'injustice continue de me scier en deux même maintenant que le temps m'a appris que c'est de même que ça se passe, la vie. Même si c'est absurde et qu'on voudrait croire qu'on mériterait tous mieux que ça. Et des fois je me demande si l'absence revêt plus de sens, avec le temps, quand elle n'arrive pas comme ça en traîtresse au beau milieu de l'histoire.